0301 Une Histoire Peut En Cacher D’Autres.

Précédemment, dans Jérém & Nico…


Après le clash chez moi en août 2001, je pensais avoir perdu Jérém à tout jamais. Puis, lorsque son accident était arrivé quelques jours plus tard, j’avais eu tellement peur. Il s'était cogné la tête et il était resté plusieurs jours dans le coma. S’il ne s’en était pas sorti, ça m’aurait détruit.
Je m’en étais voulu de ne pas avoir su trouver les mots et les gestes pour le retenir, pour le mettre en confiance, pour lui montrer mon amour sans l’. Et j’avais fini par me dire que je n’aurais jamais dû lui proposer de réviser pour le bac, que j’aurais du le laisser tranquille, le laisser vivre pénard, sans foutre le bordel dans son existence d’hétéro bien dans ses baskets.
Et pourtant, dès notre première révision, cet « hétéro bien dans ses baskets » m’avait montré qu’il kiffait baiser avec moi. Et pas qu’un peu. Et même, parfois, bien qu’il rejetait le plus souvent tout geste de tendresse et d’affection venant de ma part et qu’il refusait d’assumer ce qu’il y avait entre nous, il m’avait aussi montré qu’il était bien avec moi, et qu’il ne pouvait pas se passer de ma présence dans sa vie.
Du moins jusqu’au jour du fameux clash, où il avait tout fichu en l’air.
Après sa sortie d’hôpital, alors que je commençais à me faire à l’idée de ne plus jamais le revoir, il m’avait rappelé. En attendant de partir à Paris pour commencer sa carrière de rugbyman professionnel, il était allé prendre l’air à Campan, dans les Pyrénées, dans le village et dans la maison de ses grands-parents. Et il m’avait invité à le rejoindre.
Pris au dépourvu, j’avais hésité. Depuis notre clash, j’avais entamé le deuil de cet amour, j’essayais d’en « guérir ». Son coup de fil était venu rouvrir une blessure encore très douloureuse. Je pensais que le bonheur avec Jérém était impossible. Il m’avait fait trop mal. J’avais peur de retomber dans les mêmes travers que pendant nos premières révisions.

A savoir, des baises torrides et, le plus souvent, rien de plus, pas un mot, pas un geste qui me montrerait que je comptais ne serait-ce qu’un peu pour lui. Et une séparation, quand il le déciderait, sans que j’aie le moindre mot à dire.
Oui, j’avais eu peur que le fait de revoir Jérém puisse rouvrir cette plaie et rendre ma « guérison » encore plus longue et difficile.
Mais j’avais fini par accepter. Le beau brun me manquait tellement ! Aussi, j’avais besoin d’avoir des explications de sa part. De savoir pourquoi il m’avait jeté si méchamment après la semaine pendant laquelle chaque jour nous avions fait l’amour chez moi. J’avais besoin de savoir ce que je représentais vraiment pour lui.
Je n’avais pas été déçu. Sous la halle de Campan, après quelques maladresses, Jérém avait fini par me montrer qu’il tenait à moi. Et par la plus belle des façons : en m’embrassant dans un espace ouvert, alors qu’on aurait pu nous voir. D’ailleurs, on nous avait vus. Mais le bobrun s’en fichait, son baiser était un baiser d’amour, pour me retenir, pour me faire sentir à quel point je comptais pour lui.
A Campan j’avais trouvé un autre Jérém, un Jérém sans « artifices », plus « authentique » que celui que j’avais connu à Toulouse, et on ne peut plus craquant. Un Jérém qui faisait du cheval, qui aimait le contact avec la nature. Un Jérém débrouillard, souriant, détendu, en connexion avec son âme d’. Un Jérém qui acceptait de me faire partager sa vie, son vécu, ses peurs, ses sentiments, ses amis cavaliers, cette bande de joyeux lurons, comme une famille pour lui.
Avec ces derniers, nous avions fait des balades, des gueuletons. Nous avions eu des belles conversations portées par Jean-Paul, nous avions chanté autour de la guitare de Daniel. Nous avions été chouchoutés par Charlène, comme une maman pour Jérém, et par Martine, comme une cousine très rigolote.
Puis, un soir, Jérém m’avait embrassé devant tout le monde. Si je m’attendais à ça ! C’était un moment de bonheur fou.
Tout le monde était content pour nous, et je m’étais senti tellement bien !
A Campan, dans la petite maison dans la montagne, nous avions fait l’amour comme jamais auparavant. C’était un partage intense, le désir réciproque de rendre l’autre heureux. Mais nous avions aussi discuté, nous avions partagé plein de moments inoubliables. Je n’avais jamais été si amoureux de mon Jérém. Ce bonheur pansait toute la souffrance et la peur que j’avais vécues après notre clash. Je reprenais espoir que notre amour soit possible, et que nous arriverions à surmonter la distance quand il serait à Paris. D’ailleurs, j’étais si heureux, et Paris me semblait si loin, presque un mirage rendu flou par le bonheur présent.
Mais ce qui devait arriver avait fini par arriver. Le coup de fil du club de rugby était arrivé. C’était le jour même des terribles attentats aux Tours Jumelles à New York.
Le rappel à la réalité a été brutal. Nos vies allaient prendre des chemins différents, Jérém à Paris pour le rugby, moi à Bordeaux pour mes études. Mon cœur se déchirait à nouveau, brisé par la peur de perdre le gars que j’aimais et meurtri par cette autre peur qui était dans tous les esprits après le 11 septembre.
A Campan, j’avais trouvé un Jérém amoureux, et tellement adorable. J’avais peur que Paris le fasse disparaître à nouveau. J’avais envie de croire aux promesses de Campan, que notre amour était plus fort que tout et que rien pourrait éloigner nos cœurs. Mais au fond de moi je recommençais à ressentir la peur de le perdre.
Au début de son aventure parisienne, la magie de Campan semblait tenir bon. Jérém était venu me voir à Bordeaux par surprise, et il m’avait invité à Paris. J’étais comme sur un nuage. Tout semblait bien se passer, et même au-delà de mes espoirs. Tellement bien qu’après l’explosion d’AZF j’avais invité Jérém dormir à la maison et que j’avais eu envie de faire mon coming out auprès de mon père. Mais ça s’était mal passé, très mal passé. J’avais essuyé son mépris, senti son dégoût, je m’étais heurté à son rejet net.

Heureusement, ma vie était désormais à Bordeaux. Mes études à la fac commençaient sur les chapeaux de roues. J’aimais mes cours et je m’étais fait de nouveaux potes. Pour la première fois de ma vie, j’avais l’impression de me plus être le garçon dont tout le monde se moque parce qu’il est « pédé », mais un gars comme les autres, qui avait droit à sa dignité et au respect. Entre le lycée et la fac, j’ai eu l’impression de passer d’un monde d’ados à un monde d’adultes. L’écho des moqueries du lycée était toujours là, mais il s’estompait peu à peu dans ma tête.
Hélas la complicité des premières semaines avec Jérém n’allait pas durer. Plus le temps passait, plus je le sentais distant. Entre les entraînements intensifs, sa mise à niveau sportive plus compliquée que prévu, ses études qui lui donnaient du fil à retordre, et sa peur panique qu’on découvre qu’il aimait les garçons et que ça compromette sa carrière naissante, Jérém était vraiment sous pression.
Il avait fini par espacer nos contacts, et à ne plus souhaiter que j’aille le voir à Paris, préférant faire la fête avec ses co-équipiers et recommencer à baiser avec des nanas pour faire « comme tout le monde ». Lorsque je m’étais pointé à Paris par surprise, il m’avait proposé une relation « libre », dont les règles principales seraient que chacun ferait sa vie et qu’on se verrait pendant des périodes de vacances, discrètement.
Jérém m’avait montré qu’il tenait à moi, il m’avait dit que j’étais quelqu’un de vraiment spécial pour lui, le seul qui comptait pour lui, et que ça ne changerait pas. Que ses « à-côtés » n’étaient que sexuels, que c’était juste pour soulager la fougue hormonale de ses 20 ans entre deux de nos retrouvailles, pour donner une image conforme à ce qu’on attendait de lui, pour qu’on lui foute la paix. Jérém m’avait dit les larmes aux yeux qu’il ne voulait pas me perdre. Mais il m’avait dit aussi qu’il ne pouvait pas faire autrement, qu’il ne pouvait pas assumer une relation « normale ».

J’avais d’abord rejeté ce mode de fonctionnement, car imaginer Jérém dans les bras d’une nana ou d’un autre mec me rendait fou. Et si un jour il était tombé amoureux ? Loin des yeux, loin du cœur.
Quant à moi, je n’avais vraiment pas envie d’aller voir d’autres gars. Fantasmer sur les mecs c’est une chose dont je ne peux me passer, certes. Mais passer à l’acte quand on est amoureux, c'est un toute autre chose. Et si un jour j’étais tombé amoureux d’un autre gars ? Loin des yeux, loin du cœur. Je ne voulais pas prendre le risque d’oublier mon Jérém, je tenais trop à lui. Depuis Campan, je savais désormais à quel point je pouvais être heureux avec lui.
Mais Jérém ne m’avait pas laissé le choix. Pour ne plus m’entendre lui faire des reproches et devoir répondre à mes questions, il avait voulu qu’on fasse une pause. J’avais pensé qu’il s’agissait d’une façon de me quitter. Mon cœur était à nouveau brisé.
J’avais fini par rencontrer un gars, Benjamin. Un gars mignon, sympa, drôle, et plutôt bon amant. Avec Benjamin, c’était léger, il n’y avait pas de prise de tête. On ne s’était rien promis, à part de passer de bons moments, de partager des repas, des films, des conversations, des rires, et des bonnes baises.
C’est pendant l’une de ces baises que tout a basculé. La capote qu’il portait avait cassé et il ne s’en était rendu compte qu’en sortant de moi, après avoir joui. J’avais paniqué. Je lui avais demandé de faire un test, il avait refusé. Aux urgences, on m’avait donné le traitement post-exposition. Et c’était parti pour trois mois d’angoisse en attendant le test qui pourrait faire cesser cette angoisse ou tout faire basculer dans ma vie pour de bon.
Noël était arrivé et c’était dur de cacher ma souffrance et ma peur à mes parents, surtout à maman. Jérém me manquait horriblement.
Malgré sa pause imposée, le soir du réveillon je n’avais pu m’empêcher de lui envoyer un message peu avant minuit pour lui souhaiter un Joyeux Noël.
Jérém avait répondu. Il fêtait le réveillon chez son père dans le Gers et il se faisait tout aussi chier que moi. Il m’avait proposé de nous voir. Je n’avais pas su refuser.
Nous avions passé la nuit à l’hôtel, à discuter, à faire l’amour, à nous aimer à nouveau. Il m’avait terriblement manqué et je lui avais manqué aussi. Il s’est excusé du mal qu’il m’avait fait et j’ai retrouvé le Jérém adorable qui me rend fou amoureux de lui.
Le lendemain, il m’avait proposé de repartir à Campan jusqu’à la rentrée.
Campan était sous la neige. Et dans les Pyrénées, dans la petite maison, loin des peurs de Paris et des angoisses de Bordeaux, mon bonheur, notre bonheur d’être ensemble était à nouveau parfait.


NICO

Campan, le 31 décembre 2001, 23h57

"Je te promets que le prochain réveillon on le fêtera ici à Campan, avec les cavaliers.
– J’adore l’effet que Campan a sur toi, Jérém !
– Quel effet ?
– Il fait ressortir le Jérém le plus adorable qui soit !
– Campan n’est qu’à nous !
– Oui, c’est notre refugeé".

Bordeaux, le mardi 31 décembre 2002, 18h56

Sous la douche, je repense à ce rendez-vous manqué avec les cavaliers. La neige nous avait bloqués à la petite maison, sans électricité, sans beaucoup de provisions. Je repense à cette omelette avec laquelle on avait fait un repas de fête. Ce soir-là, il n’y avait que la cheminée, une omelette et notre amour, et ça nous suffisait pour être heureux.
Je me souviens de chacun des instants du réveillon d’il y a an, de chacune de mes sensations, de toutes les nuances de bonheur que m’apportait sa présence. Je me souviens de chacun de ses regards, de chacun de ses sourires, de chacun de ses mots. Et surtout de ces trois petits mots dont il m’avait fait cadeau juste après avoir fait l’amour à l’approche de minuit.
"Je t’aime"
Trois petits mots sur l’oreiller, trois mots, un monde entier.
Longtemps j’avais rêvé d’entendre ces mots de sa bouche. Et ce cadeau était enfin venu, à l’instant même où une année se terminait et une autre prenait le relais. C’était le plus beau cadeau qu’on ne m’avait jamais fait.

L’eau chaude de la douche glisse sur ma peau, elle me fait du bien. Elle revigore mon corps qui, après un après-midi passé à faire l’amour, demanderait à rester tranquille plutôt qu’à faire la fête.
Mais ce soir c’est le réveillon, un autre, et je n’ai pas le temps de me reposer. Dans une heure, je vais être assis à table avec nos invités, et pendant une longue soirée. Car ce soir, l’année 2002 va se terminer, et une nouvelle va commencer. Et il faut fêter ça, le temps qui passe.
J’arrête l’eau, je me sèche, je m’habille. J’arrange mes cheveux et je quitte la salle de bain pour aller rejoindre le gars qui me fait du bien, qui égaie ma vie, et qui sait pardonner mes erreurs.
Je le retrouve dans la cuisine, il est en train de terminer le repas pour ce soir. Il est vraiment doué aux fourneaux.
Je le regarde cuisiner et je ne peux résister à l’envie de m’approcher doucement de lui, de glisser mes bras autour de sa taille, de le serrer contre moi, de lui faire plein de bisous dans le cou.
Il tourne la tête, et je croise son regard plein d’amour, de l’amour à donner, de l’amour à recevoir. Ce gars est un véritable puits à câlins.
Après avoir éteint les plaques chauffantes, il se tourne vers moi. Nous nous enlaçons, nous nous embrassons. J’adore laisser glisser mes doigts dans ses beaux cheveux châtains, j’adore me noyer dans ses yeux verts, dans son regard doux et timide.
La vie est faite de surprises. Je n’aurais jamais pensé qu’on se retrouverait un jour tous les deux.
"Tu es très beau, Nico, il me lance, adorable.
– Toi aussi, tu es beau, Ruben !"

La sœur de Ruben, son mec et leur gosse de trois ans vont arriver dans peu de temps, mais nos corps réclament de nouveaux frissons. Le sien, surtout. Ça ressemble à l’urgence du désir. Pour la troisième fois, rien que cet après-midi. Ruben a tout le temps envie de faire l’amour avec moi. Je crois que je ne me suis jamais senti autant désiré de ma vie.

J’ai été le premier gars pour Ruben. Avant moi, il avait embrassé une ou deux nanas, mais il était puceau. J’ai été toutes ses premières fois : le premier baiser avec un garçon, les premiers câlins, la première fois où il a senti un corps masculin contre le sien, la première fois où il a fait l’amour. Et la première fois où il est tombé amoureux.
Au début, il était pudique et timide, et j’ai pris du plaisir à le dévergonder en douceur. Très vite, il a kiffé que je m’impose, que je « dirige » au pieu, et que je le fasse sentir « à moi », que je lui montre ce dont j’ai envie. Et son plus grand plaisir semblait être celui de satisfaire tout ce que je lui demandais.
Pour le faire kiffer encore plus, j’avais appris à exiger au lieu de demander. Plus je jouais au petit macho, plus ça le rendait fou. Au début, je me trouvais vraiment peu crédible dans ce nouveau rôle qui n’avait jamais été le mien. Mais à force de répéter sous le regard d’un « public » qui veut y croire, les gestes, les mots et les attitudes sont devenus peu à peu naturels, et j’avais fini par devenir celui qu’il attendait que je sois.
Ruben a vu en moi « un gars avec de l’expérience » et « qui sait ce qu’il veut ». Je me suis employé à combler ses attentes et j’ai appris à être ce gars. Tu parles d’expérience ! Avec une relation foirée et une poignée d’aventures au compteur, je suis loin d’être une référence. Mais je lui fais de l’effet et il a vu en moi ce qu’il avait envie de voir.
Dans une certaine mesure, Ruben me fait penser à moi, au début des « révisions » dans l’appart de la rue de la Colombette. Un gars à la recherche de repères, à la recherche de la virilité qu’il ne trouve pas chez lui. Et bien qu’au début cela ait pu me paraître un brin surréaliste, cette virilité il a cru la trouver en moi.
Mais il a suffi de me laisser faire, le laisser aller chercher mon égo masculin, le déballer, et le galvaniser. Et peu à peu mon plaisir a basculé.
Je me suis laissé entraîner à jouer « le mec ». Un changement de taille, pour moi qui ai toujours préféré faire exulter la virilité de l’autre plutôt qu’envisager qu’on fasse exulter la mienne.
Et force est de constater que me sentir désiré en tant qu’actif, en tant que « mâle », ça m’a quand même fait du bien à l’égo.

Oui, Ruben me fait parfois penser au Nico que j’étais il y a un an et demi, lors des révisions avant le bac.
A quelques nuances près, quand-même. Si j’ai fini par jouer au petit macho, c’est parce que j’ai senti qu’il kifferait ça. Quelque part, c’est lui qui l’a « demandé ». Je ne lui ai rien imposé, je n’ai pas voulu le dominer, et surtout pas en dehors de nos jeux sexuels. Je n’ai pas non plus exigé des trucs fous de lui dès le premier jour, je ne l’ai pas brusqué. Ça s’est fait tout en douceur, je lui ai montré des choses et je lui ai laissé trouver ses repères, à son rythme.
Après l’amour, après le sexe, après parfois les mots crus, Ruben a toujours cherché mes bisous, mes caresses, mes bras pour s’y blottir, comme pour se sentir en sécurité, enveloppé par mon corps. Et je ne lui ai jamais refusé cette tendresse.

Ruben me colle contre le mur, m’enlace fougueusement. Ses mains fébriles défont ma ceinture, ouvrent ma braguette, se glissent dans mon boxer, empoignent ma queue, la caressent, la branlent lentement. En un quart de seconde, je suis fou d’excitation.
"Encore, t’as envie ? je le taquine, alors que je sens monter en moi une seule et unique envie, celle de jouir à nouveau.
– J’ai tout le temps envie de toi, beau mec !
– Vas-y, suce, je sais que tu as envie de ça !"
Pas de réponse verbale à ma boutade, mais un regard embrasé de désir, son corps qui s’exécute au quart de tour, ses genoux qui touchent le sol, ses mains qui font glisser mon boxer et mon pantalon le long de mes cuisses, et ses lèvres qui avalent mon gland et coulissent le long de ma queue.
Ses mains se glissent sous mon t-shirt, ses doigts excitent mes tétons. La pression, le mouvement, le doigté, tout est parfait. Il ne lui a pas fallu beaucoup de temps pour repérer mes touches sensibles, et guère plus pour en devenir un virtuose.

Je me souviens de la dernière fois où je l’ai sucé, deux jours après le réveillon à l’omelette, juste avant de quitter la nouvelle parenthèse inattendue et enchantée de Campan, après le réveillon du nouvel an, avant de repartir dans nos vies. Il sortait de la douche et je n’avais pas résisté à la tentation de défaire sa serviette nouée autour de la taille, et de lui faire plaisir une dernière fois.

Je le regarde pendant qu’il me suce, moi débout, lui à genou, je kiffe ça et je sais qu’il kiffe ça. Dès qu’il sent mon regard sur lui, son regard vert-marron est au rendez-vous. Et je lis une envie débordante de me rendre dingue de plaisir. Je sens cette envie dans la fougue de ses va-et-vient le long de ma queue, dans la fébrilité de ses caresses autour de mes tétons. Je renonce à caresser les siens, car je sais qu’il n’est pas sensible de ce côté-là. Je pose une main sur sa nuque, je sais qu’il kiffe ça, juste la présence de ma main sur sa nuque, sans même forcer. J’envoie quelques petits coups de reins, il kiffe ça aussi.
Très vite, nous basculons dans cette dimension, nous nous retrouvons sur cette corde raide, tiraillés entre l’envie de faire durer ce plaisir partagé et une furieuse envie de précipiter le feu d’artifice final.

Notre complicité était parfaite. Il avait balancé sa cigarette dans le feu et ses mains étaient venues exciter mes tétons. Elles sentaient la fumée, je me souviens très bien de ça. Ses petits coups de reins me rendaient dingue. L’excitation de l’un embrasait celle de l’autre. C’était une réaction en chaîne, une réaction explosive. J’avais cherché son regard. Et dans le sien, tout comme dans le mien, il n’y avait pas que de l’excitation, mais aussi une immense tendresse.

Ruben me pompe de plus en plus fougueusement, m’approchant dangereusement du point de non-retour. J’essaie de me contrôler, de faire durer. Je lutte sciemment contre son envie de conclure, de me faire jouir, d’accueillir mes giclées dans sa bouche et de les avaler. C’est un petit jeu entre nous, un petit jeu tacite, et très plaisant. Plus j’arrive à me retenir, plus mon orgasme va être géant. Mais le petit coquin est de plus en plus fûté et je sens que je ne vais pas y arriver longtemps…

J’étais tellement fou de lui et tellement triste de devoir le quitter. J’avais décidé de lui donner ce dont il languissait depuis nos retrouvailles après Noël, le bonheur de jouir en moi, du moins dans ma bouche, sans capote. Je m’étais dit qu’au fond, le risque était minime.
J’avais très envie de retrouver enfin le goût fort et délicieux de son jus, mais je m’employais à l’amener au bord du précipice de l’orgasme et à le retenir de justesse, à lui faire sentir l’appel de sa jouissance et à la reporter sans cesse.

Je regarde son physique élancé, pas vraiment musclé, mais très sensuel, sa peau claire, ses beaux cheveux châtains un peu bouclés...
Je sens sur mon cou la caresse de cette chaînette qui était celle de Jérém et qu’il m’avait offerte au moment de partir après notre premier séjour à Campan, au moment de nous séparer, au moment où nos vies empruntaient deux chemins divergents. Malgré tout ce qui s’est passé, je n’ai jamais pu me séparer de cette chaînette.

Je revois son corps de rugbyman, de jeune mâle fringant, sa peau mate, son brushing de bogoss, ses cheveux bien bruns, coupé très court autour de la nuque, ses abdos, ses pecs, ses tatouages sexy à mort, le petit grain de beauté, lui aussi sexy à mort, dans le creux de son cou, la chaînette que je lui avais offerte pour son anniversaire, nonchalamment posée sur sa peau mate, entre ses pecs saillants…

Ruben me pompe sans reprendre son souffle. Je sens une chaleur intense, brûlante, presque douloureuse monter dans mon bas ventre. Je sens que je perds pied. Et lorsque l’orgasme me submerge, le bonheur de sentir mon jus partir dans sa bouche me rend dingue…

Je repense au bonheur de le sentir perdre pied, de sentir son corps musclé trembler de plaisir. Je repense à ses giclées chaudes et puissantes qui explosent dans ma bouche et qui me rendaient dingue…

"Vas-y, avale !", je lui lance, pour lui faire plaisir

"Vas-y, avale !", il m’avait lancé, pour me faire plaisir.

Ruben vient de se relever. Il m’embrasse comme un fou. Il est ivre de moi, ivre du plaisir de passif, celui qu’il kiffe par-dessus tous, et que je viens de lui offrir. Je le sens à la fébrilité de ses gestes, au frémissement de son regard.

Il avait glissé ses mains sous mes aisselles, il m’avait aidé à me relever. Il m’avait serré très fort contre lui, je l’avais serré très fort contre moi. Je l’avais embrassé comme un fou, j’étais ivre de lui.

"T’as aimé ? me demande Ruben.
– Tu veux me , je lui balance, assommé par ce nouvel orgasme, comme abasourdi.
– Non, je veux juste te faire plaisir".
Pour toute réponse, je pose quelques bisous dans son cou.
"Alors t’as pas aimé ? il revient à la charge.
– Si, si, bien sûr que si! Et toi, t’as aimé ?
– Moi aussi, beaucoup! Je t’ai bien excité, hein ?
– Oui, grave !
– Tu me rends dingue, Nico…"
Et là, il me serre très fort contre lui. Puis, il approche ses lèvres de mon oreille et me glisse tout bas :
"Nico… je t’aime…"

J’avais approché mes lèvres de son oreille et je lui avais glissé :
"Je t’aime, Jérémie Tommasi
– Je t’aime Ourson, je t’aime tellement !"

Ça faisait quelques temps que je sentais ces trois petits mots au bord de ses lèvres. Et les voilà enfin. Ce sont des mots qui peuvent apporter toute la joie du Monde quand on les attend et toute l’angoisse de l’Univers quand on les redoute. Hélas, avec Ruben j’étais malheureusement dans ce dernier cas.
Pourquoi est-ce que je redoutais d’entendre Ruben prononcer ces mots ? J’imagine, pour la simple et bonne raison qu’ils appellent les mêmes en retour, sous peine de décevoir, de faire de la peine, de tout gâcher.
Des mots que, je le sens, je ne pourrais lui retourner qu’en mentant, qu’en le trompant.
Parce que je sais que mes sentiments pour lui ne sont pas les mêmes que les siens pour moi. Je ne sais vraiment pas pourquoi, alors que tout est réuni pour me rendre heureux.
Ruben est un garçon qui s’assume, qui ne demande qu’à être en couple avec moi, qu’à s’afficher avec moi. Depuis qu’il est avec moi, il a fait son coming out auprès de ses parents, de sa sœur, de ses amis. Et il m’a présenté tout ce monde, il m’a fait rentrer dans sa vie. Ruben m’a offert tout ce que j’ai toujours espéré d’une relation avec un gars.
Depuis que je suis avec Ruben, j’ai même trouvé une passion : le vélo. Ruben fait partie d’une association de cyclistes basée à Mérignac qui organise des randonnées sur des circuits dans la région. Après une période de mise à niveau, j’ai pu l’accompagner sur des boucles pas trop exigeantes.
La première fois que j’ai randonné avec les cyclistes de l’asso, ça m’a rappelé les balades à cheval à Campan. J’ai retrouvé les sensations de liberté, de dépaysement, la déconnexion du quotidien. Avec en prime, la sensation de mieux maîtriser mon nouveau moyen de locomotion avec deux roues, des vitesses et des freins, plutôt qu’un cheval dépourvu de tout ça. La première fois que nous avons fait une grande boucle dans une zone boisée, j’ai pensé à Téquila et à Unico. J’ai eu envie de pleurer. J’ai retenu mes larmes pour que Ruben ne me pose pas de questions.
La pratique sportive m’a aidé à aller de l’avant. Avec le vélo, j’ai retrouvé le plaisir du grand air. Avec le vélo, j’ai aussi trouvé des nouveaux amis, et une sorte de nouvelle famille. Une famille dont les membres sont loin d’être si hauts en couleurs que les cavaliers de Campan, mais avec qui je me sens bien.
Avec Ruben, nous avons d’autres passions communes. La musique classique et les classiques de la littérature. Je lui ai fait redécouvrir Tchaïkovski, il m’a fait redécouvrir Bach. Je lui ai fait découvrir Proust, il m’a fait me passionner pour l’Iliade et l’Odyssée.
Nous avons régulièrement de longues et belles conversations, et nos échanges sont très enrichissants. Ruben me pousse à être curieux, me donne envie de découvrir. Il nous arrive de parler philo. Ruben est très calé sur le sujet, et il est passionnant. Il me parle souvent de ses études. Il étudie l’italien, et il l’étudie à fond. Il étudie la grammaire, la syntaxe, le vocabulaire, mais aussi la littérature, la civilisation, l’histoire et la culture qui va avec. Il pousse la passion jusqu’à suivre des cours de latin, la base de l’italien, comme de tant d’autres langues. Il est passionné par ses études et il m’a redonné envie de me passionner aux miennes après la baisse de motivation, proche de l’extinction, que j’avais connue avant, pendant et après la rupture.
Avec Ruben, je devrais être le plus heureux des garçons. Je devrais être tout autant amoureux de lui qu’il l’est de moi. Et pourtant, je ne sais pas vraiment pourquoi, ce n’est pas le cas.

Il y a un an, peu avant minuit, Jérém m’avait dit « je t’aime » pour la toute première fois. Soudain, un Univers nouveau s’était ouvert devant moi.
Au fond, j’avais toujours su que ça viendrait un jour. Et ça ne pouvait venir qu’à Campan, ce Campan « qui n’était qu’à nous », Campan magique, Campan notre refuge.
Je me souviens de notre complicité parfaite, de l’embrasement de nos sens, de mon bonheur après son – je t’aime », ces trois petits mots qui m’avaient donné des ailes.
Et pourtant, j’avais vraiment eu du mal à réaliser ce qui venait de m’arriver. Ce dont j’étais certain, c’est que je n’avais jamais été aussi heureux de ma vie.
Pendant que nous faisions l’amour, dans les toutes premières minutes de l’année 2002, je n’arrêtais pas de me dire que la nouvelle année s’annonçait si douce, si belle !


Bordeaux, mercredi 1er janvier 2003, 4h54



Ruben dort paisiblement à côté de moi. Nos invités viennent de partir et mon petit cuistot est tombé comme une masse. J’écoute sa respiration apaisée et apaisante, je sens la chaleur de son corps irradier sous les draps.

Et mon esprit vagabonde au loin.

Oui, il y a un an, l’année 2002 s’ouvrait sous les meilleurs augures. En 2002, il y a eu de la joie, du bonheur, mais aussi beaucoup de tristesse et de déception. Et tout cela mélangé pêle-mêle. Des montagnes russes émotionnelles, terminées avec un déraillement inattendu et très douloureux pour moi.

Non, l’année 2002 n’a pas tenu ses promesses. Et Jérém non plus. Peut-être que ça vient de moi, que c’est de ma faute, que je n’ai pas su le mettre en confiance, le rassurer, que je n’ai pas su lui apporter ce dont il avait besoin.

Malgré tout, il me manque tellement. Il ne s’est pas passé un jour sans que la nostalgie et la tristesse ne me prennent aux tripes. Mais jamais comme cette nuit, pendant cet « anniversaire » si spécial. Parce que je l’aimais ce beau brun, putain qu’est-ce que je l’aimais !

J’ai été amoureux de Jérém depuis le premier jour du lycée. Au début, je parle des tout premiers instants où je l’ai capté dans la cour du lycée, j’ai été aimanté par sa beauté masculine redoutable. Il n’avait même pas 16 ans, et il était déjà tellement sexy !
Très vite, mon cœur battait la chamade dès que je pensais à lui. J’avais des papillons dans le ventre dès que je m’apprêtais à le retrouver, ou dès qu’il s’approchait de moi. Il occupait toutes mes pensées, matin, midi, soir, et même la nuit. J’aurais voulu tout savoir de lui.
Au départ, il n’y avait même rien de sexuel dans mes sentiments. J’imagine que j’étais trop jeune, trop innocent ou naïf ou abruti pour penser au sexe. J’étais amoureux de son sourire, de sa voix, de sa façon d’être, de son assurance, de l’image de petit gars bien dans ses baskets et plutôt marrant qu’il renvoyait.
Tout ce que je désirais au monde, c’était de me blottir dans ses bras. Tout ce dont j’avais besoin, était d’avoir un pote avec qui me sentir bien. Quelqu’un à qui pouvoir parler, avec qui pouvoir être moi-même, sans avoir peur. J’avais besoin de câlins, de tendresse, de répit. J’avais besoin de me sentir accepté, aimé.
Je me souviens de notre retour du voyage en Espagne, en bus, lorsqu’il s’était assoupi sur mes genoux. Je m’en souviens comme de l’un des moments les plus sensuels avec lui. Je me souviens de mon bonheur, hélas doublé d’effroi, lorsque je m’étais réveillé et que j’avais réalisé que ma main s’était glissée sous son t-shirt et qu’elle était posée à plat sur ses abdos bien chauds. J’étais tellement bien à cet instant, et pourtant, j’avais tellement peur ! C’est tellement injuste de devoir avoir peur d’être si heureux.
Ce qui m’avait le plus marqué dans cet instant, c’était le fait d’avoir croisé brièvement son regard. Et d’avoir compris qu’il s’était rendu compte de la présence de ma main. Et que, dans l’obscurité du bus, ça ne le dérangeait pas, au contraire, il avait l’air de kiffer. Évidemment, lorsque le bus avait ralenti et s’était engagé dans la voie de décélération d’une aire de repos, avant que les lumières ne s’allument, il s’était relevé et avait cassé la magie.
C’est peut-être à ce moment-là que j’avais entrevu pour la première fois ce qui se cachait derrière sa carapace de petit frimeur. A savoir, un petit gars qui avait tout autant besoin de tendresse et d’amour que moi j’en avais besoin, mais qui ne savait pas l’assumer.
Et là, mes sentiments avaient franchi une étape importante. J’étais fou de lui, fou de ce cœur sensible que j’avais entrevu l’espace d’un instant. Je me languissais désormais de mieux le connaître, mais je savais qu’il ne m’en laisserait pas la chance.

Plus tard, après le début de nos révisions, c’était dans sa jalousie, dans ses excès de colère, et parfois dans ses besoins d’affection et de tendresse, comme lorsqu’il m’avait demandé de rester dormir chez lui et de le prendre dans ses bras, que j’avais reconnu sa sensibilité. Une sensibilité qu’il avait peur d’assumer, qu’il refoulait.
Au fil de nos « révisions », j’avais réalisé que je n’étais plus simplement amoureux de ce garçon. J’avais réalisé que je l’aimais, avec sa sensibilité, ses fêlures. Que je l’aimais comme un fou.
Mon erreur, ma naïveté ont été de croire que je pourrais l’aider à être heureux en lui offrant mon amour. Que je pourrais lui offrir tout ce dont il avait besoin. Et que je pourrais le changer.
Je n’aurais pas dû lui mettre la pression pour notre relation comme je l’ai fait.
J’aurais dû l’écouter davantage, être plus attentif à sa souffrance, à ses doutes.
J’aurais dû lui montrer qu’il pouvait se confier à moi, le soutenir davantage, l’encourager.
J’aurais dû lui montrer que j’étais là pour lui.
J’aurais dû comprendre qu’il avait autant peur de me perdre que j’avais peur de le perdre. Qu’il luttait en permanence contre cette peur de souffrir, parce que l’Amour est le seul domaine où la carapace ne suffit pas, car elle peut se briser dès que les sentiments naissent. Car dans sa tête, il ne cessait de se répéter que je pouvais sortir de sa vie à tout moment.
J’aurais dû lui montrer davantage que je l’aimais tel qu’il était, avec ses qualités et ses défauts, et non pas pour son image de beau mec bon baiseur.
Mon engouement sexuel pour son corps et sa virilité a pu lui montrer à un moment que je ne m’intéressais qu’à ça. Mais ça n’a jamais été le cas. Sinon, je n’aurais pas enduré tout ce que j’avais enduré.
J’avais pensé, parfois, à renoncer à lui. J’y avais pensé quand j’avais trop mal, ou bien quand je me disais qu’il serait plus heureux sans moi. J’y avais pensé, mais je ne l’ai pas fait. Peut-être parce que je l’aimais.
Mais, au fond, quelle aurait été la plus belle preuve d’amour ? Renoncer à lui pour le libérer d’une relation compliquée, lui permettre d’être heureux sans moi ? Ou bien être là, encore et toujours, avec mon amour et tous ses défauts, tout en essayant de trouver la force d’accepter que le gars que j’aime me fasse parfois souffrir ?
Où se situe la limite entre tout faire pour rendre heureuse la personne aimée et se rendre malheureux soi-même ? Jusqu’où peut-on aller, jusqu’où peut-on prendre sur soi par amour ?

Aimer, c’est quoi et c’est comment ?

L’amour ne s’explique pas. Il ne se démontre pas. Il se vit, il se ressent. Ou pas.
Avec Ruben, je crois que je ne suis pas passé du stade d’être amoureux, d’être heureux dans le bonheur que nous procure l’autre, à celui d’aimer, de trouver son plus grand bonheur dans le bonheur de l’autre.
Sexuellement, avec Ruben, une partie de moi n’est pas comblée. Mais dans le fait que mes sentiments pour lui ne soient pas les mêmes que les siens pour moi, la raison principale est ailleurs.
Ce qui me manque avec Ruben, c’est cette étincelle qui faisait frémir tout mon corps et toute mon âme, et que je n’ai ressentie que pour Jérém.
Lorsque Ruben était arrivé comme une bouée de sauvetage alors que je me noyais, j’ai cru pendant un temps qu’avec sa douceur, sa tendresse, son amour, il m’apportait à nouveau cette étincelle. J’ai cru que Ruben était mon prince charmant.
C’en est un, un adorable prince charmant. Mais si son baiser m’a fait me relever, il ne m’a pas réveillé de mon sommeil. Sa présence apaise mes blessures mais ne les guérit pas. Peut-être que je lui en demande trop, c’est même sûr. Au fond, ma rupture est récente. Et elle a été très difficile. Peut-être qu’elle a desséché mon cœur. Peut-être que quelque chose me retient toujours dans le passé.
Alors, les sentiments de Ruben me font peur, tout comme son impatience d’installer notre relation. Je trouve que ça va trop vite pour moi. En général, quand on a l’impression que ça va trop vite avec quelqu’un, c’est que nous ne sommes pas prêts. Parfois, nous ne le sommes pas encore. Mais le plus souvent, c’est que nous ne le serons jamais.

JEREM

Paris, le 31 décembre 2002, 23h42.

C’était il y a un an. Déjà un an, putain ! Jérém se souvient du silence et de la pénombre de la petite maison sans électricité, de la chaleur, de la flamme, du bruit, de l’odeur du feu dans la cheminée. Il se souvient de son corps contre le sien, de ses câlins, de ses baisers. Il se souvient de son regard amoureux.
Il se souvient qu’il était tellement bien avec lui. Il se souvient qu’il était heureux, il se souvient comment il était heureux, Nico, il se souvient combien il était heureux de le voir heureux. Il se souvient qu’ils étaient tellement bien ensemble.
Il se souvient lui avoir enfin dit ces mots qui lui brûlaient les lèvres depuis qu’ils étaient montés à Campan, ces mots que Nico lui avait dits à plusieurs reprises et qu’il n’avait jamais su lui décrocher, malgré l’envie de le faire.
"Je t’aime, ourson!"
Il se souvient du bonheur de Nico quand il lui avait dit ce « je t’aime ». Il se souvient de comment il s’était senti bien après avoir lâché ces mots, si simples et si lourds à la fois.
Il se souvient qu’ils avaient fait l’amour et que c’était incroyable. Il se souvient que tout était parfait à cet instant.
Il se souvient lui avoir fait la promesse que le prochain réveillon, celui de ce soir, ils le fêteraient avec les cavaliers. Il se souvient y avoir cru très fort, comme un vœu, comme pour éloigner la peur que ce ne soit pas le cas, que la vie en décide autrement, que le bonheur qui était le leur à cet instant leur file entre les doigts. Il se souvient avoir eu peur que la vie leur fasse à nouveau emprunter des chemins qui s’éloignent. Il avait eu peur de faire encore des bêtises. Il avait eu peur de le faire souffrir encore, et de tout gâcher une fois de plus.
Jérém se connait. Sa peur était justifiée. Il a encore fait des bêtises. Il a encore fait de la peine à Nico. Et il tout gâché une fois de plus.
Dans quelques minutes, il sera minuit, et ça fera pile un an qu’ils étaient si heureux. Ça sonne si loin, tout ça. Cette année 2002 se termine sans Nico. Car Nico, il l’a perdu. Cette fois-ci, il n’y aura pas de rattrapage, il n’y aura pas de retrouvailles à Campan.

Le bruit de la fête du Nouvel An au « Pousse au Crime » résonne jusque dans la rue où Jérém est sorti fumer une cigarette, mais surtout pour se retrouver seul, pour reprendre son souffle, pour essayer d’échapper à cette tristesse qui lui enserre le cœur et qui l’étouffe. Mais il n’y arrive pas. C’est tellement dur de devoir faire la fête quand on a le cœur en miettes.
Il regarde le briquet avec lequel il vient d’allumer sa clope, le briquet que Nico lui avait offert à Campan, juste avant de partir pour Paris. Plus minuit approche, plus son cœur est lourd.

"Eh, Jérém, c’est presque l’heure !"
Jérém a entendu la porte du bar s’ouvrir et la puissance des décibel sde la fête foncer sur lui. Mais il a été étonné d’entendre la voix d’Ulysse. Il n’aurait jamais pensé qu’il viendrait le voir. Pas après ce qui s’est passé. Depuis quelques temps, ils s’évitent. Enfin, c’est surtout lui qui évite Ulysse. Car il a cru avoir perdu son amitié. Définitivement, Jérém a perdu pas mal de choses en cette foutue année 2002. Alors, il est content d’entendre sa voix, et qu’il soit venu le voir. Il aimerait tellement que les choses redeviennent comme avant.
"J’arrive.
– Tu fais quoi ?
– Tu vois, je fume une clope.
– Ca fait un bon moment que tu fumes !
– Ouais… ouais…
– Tu as l’air à côté de tes pompes, mec.
– T’inquiète, tout va bien.
– Non, tout ne va pas bien. Je commence à te connaître un peu et je sais quand tu ne vas pas bien.
– Occupe-toi de tes fesses, Ulysse, tu veux ?
– Allez, Jérém, ne fais pas l’idiot. Viens trinquer avec nous.
– Ouais, ouais…
– Tu penses à Nico…
– Non, pourquoi tu me demandes ça ?
– Je ne te le demande pas, je le sais…"
Jérém a envie de lui parler de tant de choses, mais ça ne sort pas. Il a mal et il n’a envie de rien. Il a juste envie de rentrer chez lui et de dormir et d’être au lendemain, pour ne plus penser à cette foutue nuit d’il y a un an.
"Écoute, Jérém, tu ne crois pas qu’on devrait arrêter de se faire la gueule ?
– Je ne te fais pas la gueule !
– Tu ne vas pas me faire croire qu’il n’y a pas un malaise entre nous depuis quelques temps, hein ?
– Je voudrais faire comme s’il ne s’était rien passé, mais je n’y arrive pas.
– Mais il ne s’est rien passé !
– Je t’ai quand même montré une partie de moi que tu n’as pas aimé…
– Je m’en fous de ce que tu m’as montré, ça ne change rien pour moi.
– Mais ça change pour moi.
– Foutaises ! Tu veux qu’on soit à nouveau amis, oui ou non ?
– Oui , bien sûr.
– Et moi aussi. Tu sais, notre amitié m’a manqué.
– A moi aussi, tu peux pas savoir !
– Je t’aime beaucoup, Jérémie.
– Moi aussi je t’aime beaucoup.
– Je t’ai trouvé sympa depuis le premier jour. Tu es un bon gars.
– Moi aussi je t’ai trouvé super sympa. Tu es le seul qui soit venu me parler quand j’ai débarqué à Paris.
– Viens-là, mec !"
Ulysse le prend dans ses bras et le serre très fort contre lui. Vraiment, ce gars a le pouvoir de le faire se sentir bien, de le rassurer.
"Je suis désolé pour ce qui s’est passé l’autre soir.
– Ne le sois pas, il n’y a pas de mal.
– Il y a des choses que je ne peux pas contrôler.
– Tu n’as rien fait de mal.
– J’aurais dû fermer ma gueule.
– Non, au contraire. T’as bien fait de ne pas garder ça pour toi. Mais pour moi tout va bien. Tu penses que ça va aller pour toi ?
– Oui ça va aller.
– Tout va bien alors. Je n’aimais pas qu’on se fasse la tête. Il n’y a pas de malaise de mon côté, d’accord ? Il n’y en a jamais eu. Et il ne faut pas qu’il y en ait de ton côté non plus. Tu n’as rien à te reprocher.
– Merci Ulysse.
– Pourquoi tu es ici ce soir ?
– De quoi ?
– Pourquoi tu n’es pas avec Nico ? Tu en crèves d’envie !
– C’est fichu entre nous.
– Ne dis pas ça. Quoi qui se soit passé entre vous, je suis sûr que tu peux rattr le coup, ce gars t’aime comme un fou. Appelle-le, va le voir dès demain.
– Je lui ai fait trop de mal et je n’arrête pas de lui en faire.
– Tu es bien avec lui ?
– Oui, tellement bien.
– Et pourquoi tu es bien avec lui ?"

Pourquoi je suis bien avec Nico ? Il y en a tellement, de raisons…

Parce que grâce à Nico, je sais enfin qui je suis. J’ai arrêté de me dire que je suis hétéro et que je me tapais un « pédé » juste pour le fun. J’ai accepté que je suis attiré par les mecs. Et par Nico, en particulier. Aujourd’hui, je sais que je suis homo. Et ça fait du bien de savoir qui l’on est.
Parce qu’il a su me montrer qu’aimer un garçon peut être quelque chose de très beau, et qu’il ne faut pas avoir honte. Et même si j’ai encore peur du regard des autres, je n’ai plus peur de mon propre regard. Aujourd’hui, j’ai fait la paix avec moi-même vis-à-vis de tout ça.
Parce qu’il m’a montré que je peux être aimé, pour qui je suis, et pas juste pour mon physique.
Parce que je sais désormais qu’il m’aime pour ce que je suis, avec mes imperfections, mes défauts, mes faiblesses.
Parce que je sais que Nico me comprend, il connait mes failles, et il ne les fait pas peser.
Parce qu’il supporte mes mauvais côtés, mon mauvais caractère et qu’il fait ressortir le meilleur de moi.
Parce qu’il m’a donné envie de croire que moi aussi j’ai droit au bonheur, et de me battre pour l’obtenir.
Parce qu’il ose me tenir tête, et me faire avancer.
Parce que quand je suis avec lui je me sens plus fort et tout me semble plus simple.
Parce que le voir heureux me rend heureux.
Parce que je kiffe le prendre dans mes bras.
Parce que je kiffe quand il me prend dans les siens.
Parce que j’aime ce qu’il a fait de moi.
Parce qu’il ne m’a jamais lâché.
Parce qu’au fond, je sais qu’il m’attend.
Parce que je ne veux pas le perdre.

Il y a tellement de raisons qui font dire à Jérémie qu’il est bien avec Nico ! Mais s’il doit en retenir une, pour répondre à la question d’Ulysse :

"Parce que j’aimais le gars que j’étais quand j’étais avec lui.
– Rien que ça ?
– Quoi, rien que ça ?
– Ce que tu viens de dire…
– De quoi ?
– Que tu aimes le gars que tu es quand tu es avec lui. C’est super, c’est beau. Et ça montre à quel point ce gars te fait du bien, et à quel point tu es fou de lui. Alors, fonce, mec. N’aie pas peur de te faire jeter. Si tu l’aimes, ne baisse pas les bras. Si tu lui montres que tu l’aimes, il ne pourra pas résister !
– J’ai merdé. Comme d’habitude. J’ai tout gâché, et pour de bon cette fois-ci.
– Je suis sûr qu’il saura te pardonner.
– De toute façon, je ne fais plus partie de sa vie, et je n’en ferai plus jamais partie. J’avais une place spéciale dans son cœur, mais je l’ai perdue. Et maintenant, c’est un autre gars qui a pris cette place. Je ne lui en veux pas, ni à Nico, ni à ce gars. Je pense qu’il saura rendre Nico plus heureux que je n’ai jamais su le faire et que je n’aurais jamais su le faire. Alors, je suis heureux pour lui, je suis heureux de le savoir heureux.
– Mais toi, tu es malheureux, Jérém !"

Mercredi 1er janvier 2003, 3h12

Jérém a trop bu ce soir. Et trop fumé. Quand les gars sont partis du Pousse pour aller terminer la nuit dans une autre boîte, il a déclaré forfait. Mais il n’est pas rentré chez lui. Il est parti faire un tour dans une boîte gay qu’il a repérée quelques semaines plus tôt. Il s’y est rendu quelques fois, après la rupture. Il s’y est rendu pour s’étourdir, quand l’alcool et le joint ne suffisaient plus. Quand l’envie de baiser le tyrannisait. Quand les regrets le tenaillaient. Quand le bonheur perdu l’attrapait par traîtrise. Quand la solitude le prenait à la gorge. Quand la peur de rentrer seul l’angoissait.
Il s’est réveillé quelque fois le matin avec la gueule de bois, un inconnu à ses côtés, et l’envie de gerber, de chialer, de hurler. Les excès de la veille ne pardonnent pas au réveil.

Il n’a même pas retenu son prénom. Tout ce qu’il a retenu c’est son sourire, sa belle gueule, ses cheveux bruns, son brushing sexy, son t-shirt blanc moulant, son regard qui le dévorait. Il a retenu la promesse du bonheur de la découverte d’un corps inconnu, de quelques instants de plaisir et d’étourdissement. Il est venu pour se sentir désiré, pour laisser un beau gars inconnu essayer de lui remonter le moral.
Ils sont allés chez lui. Il lui a proposé à boire. Mais avant d'avoir fini les verres, le petit brun bien foutu était à genoux devant lui en train de le pomper.

Ses lèvres coulissent le long de sa queue, ses mains empoignent ses fesses et les malaxent, trop fort, trop vite. Ça ne l’excite pas vraiment. Il ôte son t-shirt, att ses mains, les conduit à ses tétons. Le gars les caresse, trop peu, les pince, trop fort. La pression, le mouvement, rien n’est comme il aime.

Jérém repense à l’amour avec Nico juste après le réveillon de l’année d’avant. Les lèvres de Nico sur sa queue faisaient des étincelles, lui offraient des frissons de fou. Et ses doigts sur ses tétons, putain ! Même avec une capote, c’était dingue !

Très vite le gars retire ses mains de ses pecs, et revient tripoter ses fesses.
"Tu as un cul d’enfer !", il lui glisse à un moment, en reprenant sa respiration, avant d’avaler sa queue à nouveau.

Ses caresses étaient à la fois terriblement sensuelles et incroyablement douces, l’amour avec Nico c’était tendre et excitant…

Il regarde le gars en train de le sucer. Le gars cherche son regard, Jérém le fuit. Il n’a pas envie de croiser son regard.

Pendant que Nico le suçait, il avait croisé son regard. Il avait vu son excitation, son envie de le rendre dingue de plaisir, mais comme un gars amoureux.

Le gars le pompe de plus en plus vite, Jérém sent qu’il ne va pas tarder à jouir. Et il ne veut pas se retenir. Au fond de lui, il a envie d’en finir au plus vite, et de se tirer. Il sent son orgasme arriver, mais le gars arrête de le sucer juste avant.

"Baise moi, beau mec !"

Jérém avait voulu que Nico lui fasse l’amour. Il en avait tellement envie !

Jérém passe une capote, il encule ce gars, il le baise. Le gars gémit de plaisir, il lui dit qu’il ne s’est jamais fait baiser par un mec aussi canon que lui, que sa queue le fait jouir comme aucune autre. Il veut être défoncé comme un malade, il veut qu’il lui casse le cul. Le gars n’est pas déçu. Jérém le pilonne tellement fort qu’il finit par se déboîter de lui. Le gars veut qu’il enlève la capote et qu’il lui gicle dans le cul. Jérém regarde son cul offert, assoiffé. Il hésite. Le gars le chauffe, lui dit qu’il va jouir deux fois plus sans. Il lui dit que ça ne craint rien, car il s’est fait dépister. Jérém est saoul, il vient de se faire un pétard. Il est à deux doigts de jouir, et il très excité.
Mais il refuse. Il l’encule encore, il lui tarde de venir…

Nico était si tendu, il avait peur que la capote casse.
Jérém n’en pouvait plus de cette saleté de capote. Parce qu’elle le privait d’une partie de son plaisir, certes. Mais aussi et surtout parce qu’elle lui rappelait sans cesse ce qui endurait Nico depuis quelques jours, cet accident de capote avec le gars de Bordeaux, le risque que cela représentait, et la peur. Jérém ne pouvait s’empêcher de se sentir d’une certaine façon responsable de la mésaventure de Nico. S’il n’avait pas refusé de le laisser le rejoindre à Paris, s’il n’avait pas recommencé à faire le con avec les nanas, s’il ne lui avait pas demandé de faire cette maudite pause, s’il avait eu les couilles d’assumer leur relation et leur amour, ça ne serait pas arrivé.
Nico était tendu, angoissé. Mais Jérém lui avait fait plein de bisous et il avait fini par se détendre. Il s’était allongé sur son torse, il était venu en lui tout doucement. Il lui avait fait l’amour et c’était tellement beau et tellement bon. Nico lui avait donné envie de faire ça, et il l’avait rendu beau. Jérém était si heureux de le sentir prendre son pied.
Jérém se souvient de la douceur de sa peau, de ses cheveux, de son regard amoureux.
Et pendant que Nico s’amusait comme un petit mec, leurs lèvres n’étaient jamais rassasiées de bisous, leurs mains de caresses, leur bras d’étreintes.
Quand Nico était venu, Jérém était fou, fou de ce petit mec qui le rendait si heureux ! Il l’avait pris dans ses bras, et il l’avait couvert de bisous.
Nico venait de jouir, et lui avait demandé de lui faire l’amour à son tour

L’amour avec Nico était un bonheur sans fin. Il aurait voulu que ça dure longtemps ! Car il y avait le plaisir, intense, mais il y avait aussi cette délicieuse confiance et cette merveilleuse complicité de leurs corps et de leurs esprits.
Et il avait fini par jouir en embrassant Nico fébrilement, comme ivre de plaisir, en le serrant très fort contre lui, en plongeant son visage dans le creux de son épaule, et en pensant à tant de fois où il était venu en lui sans capote.

Jérém finit par conclure avec le gars, mais en pensant à tant de fois où il avait giclé dans le beau cul de Nico… et à son regard amoureux…
Il se déboîte du gars, il retire ma capote. Il n’a qu’une envie, se tirer de là.

Jérém était sorti de Nico, ils s’étaient embrassés longuement. Il avait dû se faire violence pour mettre les câlins en pause le temps de retirer la capote. Il n’avait qu’une envie, c’était de le serrer très fort dans ses bras et que cette nuit ne se termine jamais.



Merci à Fan B pour la rigueur de son travail. Merci à la team J&N sur Discord pour ses suggestions et pour avoir alimenté le blog pendant 5 mois déjà. Merci à Cyril et à tous les autres tipeurs. Merci à tous les lecteurs, à leur fidélité, à leur soutien et à leur patience.

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